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Décembre 2007 – Embargo sur Anjouan – Les derniers jours de Bacar

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Quand la population mahoraise prépare la riposte

Sur les réseaux sociaux ou dans la rue, formellement ou spontanément, les initiatives se multiplient pour répondre à la délinquance qui flambe à nouveau sur l’île aux parfums. Au risque, parfois, de voir l’exaspération prendre le pas sur la loi. 

Mayotte : une naissance dont ils se souviendront

Une naissance dans la rue, ce n’est pas si courant. C’est pourtant ce qu’ont vécu Jonathan et Mouna, lundi 18 mai, date à laquelle Sarah, leur petite fille, a décidé d’arriver. Un évènement auquel ont participé quelques passants, sur les lieux par hasard. Et quand s’improvise une chaîne de soutien, cela donne une belle histoire. Récit. 

À Mayotte, “le confinement a révélé la capacité perverse de certains à faire du mal aux autres sans qu’ils ne s’en rendent compte”

Deux mois de confinement peuvent en dire long sur un individu, mais ils peuvent également dévoiler les pires et les meilleurs aspects d’une société. La crise sanitaire a mis en évidence les failles de la société mahoraise, partagée entre la conscience de certains et l’irresponsabilité des autres. Le sociologue Combo Abdallah Combo nous explique pourquoi il est urgent de tirer les leçons de ce confinement et essayer de changer la donne. 

Camille Miansoni, procureur de Mayotte : “Mon rôle est de protéger la société avant tout”

L’affaire du rapt en Petite-Terre qui suscite l’émoi dans l’ensemble du Département est révélatrice de nombre de maux dont souffre la société mahoraise au sein de laquelle nombre de personnes semblent valider l’idée que l’on puisse se faire justice soi-même à défaut d’une carence supposée de l’État. Le procureur de la République, Camille Miansoni, revient ici sur ces éléments. C’est aussi l’occasion pour lui de rappeler le rôle qu’il occupe et la vision qui l’anime alors que les critiques pleuvent sur sa personne.

Pays sous embargo, blocus, une armée tanzanienne de 235 hommes au mouillage, prêts à en découdre sous l'égide de l'Union africaine, réclamée par l'ayatollah pourtant lui aussi originaire d'Anjouan, le président de l'Union des Comores Abdallah Ahmed Sambi. L'actualité s'avère des plus inquiétantes à Ndzuani, l'île dont beaucoup de Mahorais sont originaires, le point de terre qui apparaît au loin, dans le nord de l'île, à 70 km de là.
L'équipe de Mayotte Hebdo qui a réussi à pénétrer sur le sol d'Anjouan le week-end dernier, malgré l'opposition de l'Union des Comores à Mohéli, n'a pas beaucoup de temps pour travailler. En ville, déjà, les rumeurs fusent sur notre compte. "Vous avez été achetés par Bacar", crie un jeune, avec véhémence à notre hôtel. Alors, dans ce contexte de guerre civile larvée, malgré ce que peut dire le gouvernement en place de l'île autonome, nous devons faire vite.
Pour prendre le pouls d'un territoire, rien ne vaut son port. Le grand port en eau profonde de l'archipel. Par là passent 80% des marchandises en direction de Mohéli, 40% vers Moroni. L'effervescence est de mise en cette fin d'après-midi. Le Maria Galanta s'annonce au loin. "C'est comme ça à chaque fois avec l'arrivée du Maria Galanta. Un vrai lien économique existe entre Anjouan et Mayotte. Vous allez voir toutes les affaires débarquées. C'est impressionnant. Moi-même je viens souvent récupérer des paquets qui me sont envoyés par ma sœur depuis Pamandzi", raconte Mahamadou, le directeur de la coopération décentralisée.
Pendant le déchargement à la main du Maria Galanta – dont la quasi-totalité des passagers sont "des reconduits" – au bout du quai, les conteneurs de l'UAFL Express, feeder connu à Mayotte, quittent le navire. Les stackers sont flambants neufs. Ils ont été offerts par le port de Nantes et feraient rêver n'importe quel employé de la Smart.
Adossé à une boite de 20 pieds, le commandant malgache du Tatringa III regarde le soleil tomber, paisiblement. Il part demain, dimanche vers Mayotte. Le surlendemain, enfin, le bateau de l'armateur franco-anjouanais Camille Boudra pourra transporter des clients entre les deux terres. "Depuis le temps qu'on attend les autorisations. Nous les obtenons cinq jours avant le blocus, étonnant, non ? Enfin, nous préférons ne pas se poser de question. Nous ne faisons pas de politique ni de diplomatie", se dédouane le commandant Henry Robin.

 

"Notre pays est pris en otage par leur guerre"

Du côté des dockers, tout aussi vieux que ceux de Mayotte, le discours change quelque peu. "Nous avons connu cette crise en septembre 2000. Nous savons réagir. Ma famille a déjà constitué des réserves de riz et de farine. Ce que je me demande toujours, c'est de savoir pourquoi c'est au peuple de souffrir ? Nous aussi nous n'aimons pas Bacar." Voilà une compilation de réflexions entendues sur les quais et à proximité du port.
Dans les rues, le calme règne. Loin du décor apocalyptique décrit par des "amis". Ouani, la ville de l'aéroport, bastion de Bacar, est une ville minuscule. Mutsamudu est sauvé de la laideur par une médina pittoresque. La torpeur règne sur la capitale. Le m'hraha et les dominos rythment la fin de journée. La guerre menace et les Anjouanais jouent. Ils discutent aussi, mais beaucoup moins forts que les dominos sont frappés. Le m'zinga ("la couronne du perdant") fait encore rire, combien de temps encore ?
"C'est un problème d'hommes. Bacar et Sambi ne se sont jamais aimés. Ils 'agit de deux entrepreneurs qui se battent pour quelques francs de plus. Notre pays est pris en otage par leur guerre", vilipende un badaud au bord de la plage. Bidon à la main, il cherche de l'essence. "Il parait qu'il y a du pétrole, mais seul les pro-Bacar en ont. Je vais devoir aller quémander", continue, résigné mais pas abattu, cet homme. Dans son autre main, il possède une Castle. "Regarde. Je l'ai achetée 250 francs comoriens (0,50 euro). Pas cher non ? Normal. Sa date de péremption est prévue en 2005."
Pendant ce temps, Mohamed Abdou Madi, ministre de la coopération décentralisée, de l'environnement, du transport, du tourisme, président du conseil interministériel fondé pendant la crise politique, sirote un whisky coca à l'Al Amal, "l'espoir", en arabe. L'hôtel de luxe de Mutsamudu, refait à neuf par le propriétaire du Moroni, appartient désormais à l'Etat.
Abdou Madi a établi ses quartiers dans ce charmant resort de 22 chambres, avec vue sur la baie de Mirontsy. "Que fait l'Union des Comores ? Pas mieux, pas plus que Bacar. Notre avenir se situe dans l'agriculture", assure-t-il quand on évoque le développement économique. Un projet ambitieux de rénovation des alambics d'ylang vient d'être lancé. Il s'agit de passer du bois au fuel.

 

Une rivière qui termine sur la plage des kwassa

"Ce qui m'inquiète le plus dans cet embargo, ce sont ses conséquences écologiques. Il ne faudra pas longtemps pour que le pétrole vienne à manquer. C'est une déforestation désastreuse qui menace."
Au final, Anjouan dévoile un caractère plus proche de Mohéli que de Grande Comore ou de Mayotte. Un vrai savoir agricole (voir par ailleurs) existe indéniable. Ici, la culture en terrasses ne résonne pas comme une excentricité de m'zungu. Les terrasses en pierre jonchent les montagnes très hautes de ce pays flamboyant.
Les karafou, (clous de girofle) et les litchis donnent une couleur rougeoyante dans un océan de vert. Les femmes lavent leur linge, avec un savon de Marseille moins polluant que l'horreur chimique en vente chez nous, près des chutes de Bambao. Terrain de jeu exceptionnel pour les enfants dont la rivière aboutit sur l'une des grandes plages à kwassa-kwassa. A Anjouan, les seuls qui ont le droit de rêver sont les volontaires au cauchemar migratoire.

Gérôme Guitteau
 
 

 

Communiqué officiel de l'Union des Comores
"Dans un délai de 45 jours (…) une intervention militaire aura lieu"

Le 10 octobre 2007 s’est tenu à Addis-Abeba au siège de l’Union africaine une réunion du Comité de paix et de sécurité (CPS) qui a examiné les sanctions proposées par les experts, les pays contributeurs de troupes et par les ministres des Affaires étrangères de la région.

Après avoir constaté que Mohamed Bacar et ses complices constituent un obstacle au processus de mise en place du nouveau cadre institutionnel et que ces derniers ont défié l’ensemble de la communauté internationale en s’opposant à l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques dans l’île d’Anjouan. Sans oublier que Mohamed Bacar et ses partisans ont pris l’île d’Anjouan en otage et y font régner un climat de terreur tout en pillant systématiquement les ressources financières de cette île. Le CPS a adopté les sanctions suivantes qui frappent Mohamed Bacar, son pseudo gouvernement, son pseudo cabinet, les députes de l’île, les membres corrompus de la commission insulaire électorale, les membres de la pseudo cour d’appel d’Anjouan, l’état major de la force de gendarmerie d’Anjouan et toutes les personnes qui soutiennent financièrement ce régime illégal :
– Dans un premier temps, tous les pays africains et l’ensemble de la communauté internationale sont appelés à interdire tout accès à leur territoire de ces personnes ;
– Leurs avoirs bancaires sont gelés aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ;
– S’ils persistent dans leur refus de mettre en œuvre les mesures préconisées par l’Union africaine, un embargo sur le trafic maritime et aérien vers l’île sera imposé ;
– Dans un délai de 45 jours, si aucune de ses sanctions n’a fait fléchir la position des séparatistes, une intervention militaire aura lieu.

Le gouvernement de l’Union des Comores salue la position claire et rigoureuse de l’Union africaine. Il appelle tous les patriotes comoriens à s’unir pour sauver l’unité de notre pays et faire échec aux manœuvres opportunistes de ceux qui veulent tirer parti de la situation pour des intérêts particuliers et partisans.
Le gouvernement de l’Union des Comores est conscient du climat de terreur qui règne à Anjouan et de l’ampleur de la répression sauvage qui s’est abattue sur les villages de Domoni, Sadapoini, Tsembehou, Sima et tout récemment à Moya, causant le déplacement de bon nombre de nos concitoyens d’Anjouan pour trouver refuge dans les îles sœurs.
Le gouvernement de l’Union des Comores mettra tout en œuvre pour que l’île d’Anjouan retrouve sa place dans l’ensemble comorien et que la justice, la paix et le progrès y reviennent dans les meilleurs délais.

Le directeur de cabinet de la présidence de l’Union, chargé de la défense, Mohamed Dossar
Le 13 octobre 2007
 
 

 

Entretien exclusif
Mohamed Bacar, président de l'île autonome d'Anjouan

"Madeira et Sambi ont tué l'Union des Comores. Ils sont en train de l'enterrer"

L'ultimatum de l'Union africaine imposant à Anjouan l'organisation d'une élection présidentielle prend fin ce week-end, alors qu'elles ne se dérouleront pas. Ayant l'opportunité de rencontrer le président de l'île autonome d'Anjouan Mohamed Bacar, que nous n'avions pas entendu depuis le début de la crise, Mayotte Hebdo a décidé de se rendre à Anjouan. Trois journalistes ont fait le déplacement samedi, dimanche et lundi derniers. Pour l'occasion, nous avons proposé à Patrick Millan et son caméraman de nous accompagner, ce qu'ils ont accepté immédiatement.
Mayotte Hebdo et Othentika production ont ainsi pu rencontrer Mohamed Bacar dimanche en début d'après-midi dans le salon VIP de l'aéroport de l'île voisine. Un entretien poignant d'un homme mis au banc des nations par Ahmed Abdallah Sambi et Francisco Madeira le représentant de l'UA aux Comores. La France soutient l'organisation panafricaine. Alors l'homme qu'on dit très proche de la France joue l'une de ses dernières cartes auprès des médias français.

Que va-t-il se produire le 24 novembre ?
Mohamed Bacar : Une décision déterminante pour l'avenir de l'Union des Comores sera prise ce samedi par l'Union africaine. Elle sera déterminante parce qu'Anjouan prendra aussi une décision.

Vous êtes en train de parler de guerre ?
Mohamed Bacar : Notre organisation, l'Union africaine, devrait nous apporter la paix. Malheureusement elle répète qu'elle va nous faire la guerre. C'est ce que Madeira laisse entendre. Est-il sincère ? Ce n'est pas à moi de répondre. On verra sa réponse le 24 novembre. Je ne souhaite pas la guerre, mais quand Madeira et Sambi le disent… Il ne serait pas responsable de notre part de ne pas prendre leurs menaces au sérieux. A chaque fois qu'ils évoquent le débarquement, ils l'assimilent à la guerre.

Le sang peut couler ?
Mohamed Bacar : Je ne le souhaite pas, mais il est certain qu'on ne croisera pas les bras. Il existe déjà un précédent en 1997. Les Anjouanais ont déjà fait leurs preuves. Je tiens à dire que les Anjouanais appartiennent à l'Union des Comores, mais ses représentants exercent une propagande de diabolisation contre nous. Ils n'ont qu'un seul objet en tête : "nuire à l'image de Bacar, nuire à l'image d'Anjouan". Comparez Anjouan et Grande Comore. Vous le voyez, vous êtes ici. Personne n'est arrêté ici pour ses idées politiques alors que même les acteurs économiques d'Anjouan le sont à Mwali ou en Grande Comore car on les soupçonne d'être pro-Bacar. Mais je ne crois pas qu'on en arrivera là. On trouvera des responsables politiques sages qui vont essayer de trouver une voie qui maintienne l'unité et la fraternité des Comores.

"Ils veulent engendrer le génocide des Anjouanais"

L'union des Comores est-elle d'ores et déjà morte ?
Mohamed Bacar : M. Francisco Madeira et Sambi ont tué l'Union des Comores. Ils sont en train de l'enterrer. A chaque négociation, nous avons apporté des propositions, eux rien. Madeira, en particulier, ne parle que de Bacar. Il pense que l'embargo va me fragiliser auprès de ma population. Bacar ne cédera jamais. Depuis 1975, nous avons connu cinq constitutions. A chaque fois, on se dit qu'il faut changer. Cinq ans après les accords de Fomboni, nous remarquons que nous sommes sur la bonne voie. Il n'y a que des petites retouches à faire. Je crois en l'Union des Comores, mais seulement si elle apporte du bien aux Grands Comoriens, aux Anjouanais, aux Mohéliens. C'est pour cela que Bacar n'a pas cédé et ne cédera jamais. Madeira, lui, il s'en fout des Comores. Il veut juste gagner pour sa petite personne. Si trois jours après, la crise revient, ça lui importe peu. L'Union africaine s'occupe des Comores depuis 1995 et le départ de Djohar vers la Réunion. Qu'ont-ils réussi ? Rien.

Vous allez tenir combien de temps sous embargo ?
Mohamed Bacar : Il y a deux semaines, un cargo de carburant de la société d'hydrocarbures de Moroni devait venir. Il a été empêché par Madeira. C'est lui qui a détourné le pétrolier. Nous sommes déjà sous embargo. Nous avions anticipé ces mesures. Nous n'allons pas sortir la lampe dès samedi. C'est pareil pour le riz. Les prix actuels sont moins chers qu'à Moroni.

Avez-vous peur ?
(A cette question, la respiration de Mohamed Bacar se bloque. Un sentiment se dégage, il joue gros dans cette entrevue.)
Mohamed Bacar : J'ai peur quand je pense que depuis 1995 l'Union africaine s'occupe des Comores sans jamais trouver de solutions. Beaucoup de gens sont morts. Ce ne sont pas les mitraillettes qui m'effraient. Nous sommes là pour apporter le bien-être au peuple comorien. Mon pays est ma suprême priorité. Je suis prêt à mourir pour lui. L'UA va nous isoler complètement le 24 novembre. Je vois deux étapes. La première est de prendre le large si on nous y pousse avec l'UA. S'il y a embargo, nous ferons une croix sur l'Union africaine. Ensuite, nous allons observer les réactions de nos frères grands comoriens et mohéliens.
S'ils ne font rien ça signifiera qu'ils se moquent de notre Union, qu'eux non plus n'en veulent pas. Nous on prendra le large. Ça signifiera la fin de l'Union.

L'Union des Comores a sorti une liste de 145 noms, interdits de sortir du territoire anjouanais. A votre tour, vous avez publié une liste de 40 noms…
Mohamed Bacar : D'ailleurs Sambi est en premier dessus.

"Je ne suis pas pour la guerre, encore une fois, mais si c'est le prix à payer pour le bien-être de mon île, ce sera avec regret mais nous la ferons"

N'est-ce pas puéril quand même ?
Mohamed Bacar : Dans leur liste, ils ont mis tous les élus, tous les opérateurs économiques, les magistrats d'Anjouan. Nous en avons quarante et c'est Sambi qui crie au séparatisme. Interdire de bouger à des Anjouanais, ce n'est pas cela le séparatisme ? Ils asphyxient un pays en bloquant ses entrepreneurs. Les Anjouanais ont vécu un embargo très dur en 2000. Nous subissions le choléra et l'Union africaine a refusé l'accès aux médicaments. Nous avons survécu. Ils veulent engendrer le génocide des Anjouanais. C'est le vrai nom de cet embargo. Nous, peuple anjouanais, par mon intermédiaire ou celui de mon successeur, porterons plainte contre ce génocide. Ailleurs, des gens ont été condamnés. Il n'y a pas de raison qu'ils ne le soient pas.

Quelle est votre réaction par rapport au soutien de la France apporté à l'Union Africaine ?
Mohamed Bacar : Je ne dirais pas que la France a un rôle à jouer. La France constitue le premier partenaire d'Anjouan. Nous comprenons que la France soutienne l'Union africaine, même si j'aimerais que le pays des droits de l'homme comprenne notre combat, comme Maurice, Madagascar. Les Seychelles nous comprennent. Cela importe peu, nous irons jusqu'au bout malgré tout. Nous assumons notre choix. Nous n'avons pas besoin du soutien des autres Etats. Nous sommes sûrs de notre fait.

On vous dit proche de réseaux français, notamment de Michèle Alliot-Marie qui aurait un appartement comme vous à Nantes. Elle est venue aux Comores en tant que stagiaire à l'époque ?
Mohamed Bacar : Je suis un francophile comme tous les Anjouanais. J'aime la France, je ne le cache pas. A ce titre, j'ai des amis français. Des membres de ma famille sont aussi Français. Je crois que mon frère a d'ailleurs fait parler de lui contre son gré dernièrement à Mayotte.

Allez-vous faire appel aux Anjouanais de l'extérieur ?
Mohamed Bacar : Oui, et pas seulement. Nos frères comoriens ne sont pas pour la guerre. Il n'y a que Madeira et Sambi qui la veulent. Le président de Ngazidja est venu me voir la semaine dernière et m'a apporté son soutien. Je ne suis pas pour la guerre, encore une fois, mais si c'est le prix à payer pour le bien-être de mon île, ce sera avec regret mais nous la ferons. Je suis sûr que si un pays comme l'Afrique du sud a réussi à créer cette union entre tous ses membres, nous pouvons réussir aussi chez nous, avec Mayotte dedans. Sans aucune suprématie d'un membre sur un autre.

"Je reconnais Mayotte française. (…) Cessons avec l'hypocrisie et respectons le choix des Mahorais"

Vous réclamez le retour de Mayotte dans le giron comorien ?
Mohamed Bacar : Mayotte est une île comorienne qui a choisi la France. En 1975, nos parents ont fait un choix, ceux des Mahorais un autre. Bon, maintenant la question importante est de savoir comment on peut vivre en harmonie fraternellement ? Il faut se dire les choses clairement. Je reconnais Mayotte française. Sambi, lui, va saluer la délégation mahoraise aux Jeux des îles, puis il demande le soutien de la France, via Mayotte. C'est hypocrite. Les Mahorais ont gagné. Madeira est allé à Mayotte pour légitimer le choix de Mayotte.
L'acte le plus important de la présidence de Sambi, d'après lui-même, a été que la France accepte ses enfants à l'université. Comment fait-il ensuite pour réclamer Mayotte ? Cessons avec l'hypocrisie et respectons le choix des Mahorais.

Quel avenir imaginez-vous pour l'archipel ?

Mohamed Bacar : L'Union doit être une interface entre nous et le monde extérieur. Elle ne doit s'occuper que des affaires extérieures, même pas de la défense. Je ne pense pas qu'elle en aurait les moyens d'ailleurs. Chaque président des îles pourrait pendant deux ans être le président de l'Union. Ensuite, comme les Chinois le réalisent avec Hong-Kong, il faut développer l'idée d'un Etat, trois systèmes. Mayotte et son administration française, Anjouan, et Mohéli avec Ngazidja. Si Mohéli demande aussi son autonomie, on verra. Il faut que chaque île soit responsable de son développement, qu'elle puisse attirer des investisseurs. Pour Anjouan, je veux accentuer la coopération régionale. L'Union des Comores coûte trop cher dans sa version actuelle. J'ai encore d'autres idées mais je ne voudrais pas les dévoiler avant une éventuelle table ronde que je réclame depuis la campagne présidentielle conclue le 10 juin. Nous parlons de plus en plus des Comores. Nous accueillons des Chinois, des Réunionnais. Notre port est dirigé par des Kenyans d'origine anglaise. Notre archipel est une terre vierge économiquement. A nous de ne pas les décevoir. Les Anjouanais sont réputés travailleurs. Nous fournissons beaucoup de matière grise et de main-d'œuvre à Mayotte et aux autres îles. C'est pour cette raison qu'on ne peut pas nous accuser de séparatisme. Les Anjouanais sont les seuls à être partout dans l'archipel. Au lieu de réclamer Mayotte, au lieu d'opprimer les îles, nous devons forger un destin commun entre les quatre îles. Nous devons répondre à la seule question importante : "Comment lutter contre la pauvreté, comment vivre en paix dans un islam sunnite modéré ?"

"Sambi est un chiite, cela veut dire la guerre, le terrorisme. Nous, Comoriens, sommes des sunnites modérés"

Que pensez-vous d'une montée possible de l'intégrisme ?
Mohamed Bacar : Quand on voit avec quelle facilité Sambi a été élu en faisant miroiter l'improbable, nous ne sommes pas à l'abri de la chose. Un rapport a montré dernièrement que la pauvreté était un terreau favorable à l'intégrisme religieux. Sambi est un chiite, cela veut dire la guerre, le terrorisme. Nous, Comoriens, sommes des sunnites modérés.

Quand on vous écoute, on comprend que dans les faits le problème lié à l'élection importe peu. C'est un prétexte pour en découdre avec l'Union par rapport à un partage des prérogatives.
Mohamed Bacar : Les élections représentent effectivement la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Pour un observateur extérieur, il est certain qu'il serait ridicule d'arriver à la guerre à cause d'une histoire de sept jours (Bacar a maintenu l'organisation de l'élection présidentielle à la date prévue par l'UA, le 10 juin dernier, mais Grande Comore et Mohéli, estimant ne pas être prêts, ont décalé leur élection d'une semaine, ndlr). Nous ne voulons plus d'un président dieu qui décide dans son bureau de notre avenir. Nous avons connu, nous Anjouanais, une période où nous avons dirigé notre propre avenir. De cette expérience a découlé une prise de conscience de nos possibilités.

A tel point que vous espérez gagner contre l'armée nationale et l'Union africaine…
Mohamed Bacar : Si nous étions une équipe de football, je vous dirais que nous avons déjà battu l'AND (Armée nationale de développement) par deux fois, en 1997 et le 2 mai 2007. Jamais deux sans trois. Par rapport à l'Union africaine, je ne vois pas pourquoi elle voudrait mesurer ses muscles avec nous.

Pourquoi ne pas retourner aux urnes comme vous y autorise l'Union africaine ?
Mohamed Bacar : Cela ne sert à rien. Je veux une table ronde afin d'établir une nouvelle constitution. Si cette table ronde exige de nouvelles élections, j'irai sans souci. Mais pourquoi redemander aux gens de se déplacer alors que le problème ne sera pas résolu ? Azali avant Sambi avait aussi tenté de discréditer Anjouan. C'est un problème de fonctionnement. Il n'y pas de haine entre nous frères comoriens. Sambi est dans l'erreur et j'espère que les Grands comoriens et les Mohéliens sauront lui faire comprendre quand nous, Anjouanais, souffriront de l'embargo.

Propos recueillis par Gérôme Guitteau,
Envoyé spécial à Anjouan
 
 


2ème entretien avec Mohamed Bacar
Président de l'île autonome d'Anjouan

"Il nous faut une paix durable pour engager la bataille du développement de mon île, de mon pays"

Mayotte Hebdo : Monsieur le président, l’Union africaine et le gouvernement de l’Union des Comores viennent d’obtenir le soutien de la France, mercredi dernier à Dzaoudzi, pour renforcer le blocus maritime et aérien contre Anjouan, avec l’interdiction de voyager de vous-même et plusieurs membres de votre entourage. Comment prenez-vous cette mesure et quelle alternative avez-vous ?

Mohamed Bacar : Ce qui s’est passé à Mayotte courant novembre 2007 entre la délégation conjointe de l’Union africaine et de l’Union des Comores avec les autorités préfectorales n’a rien à voir avec un quelconque soutien de la France à une démarche entachée d’illégalité, à une structure de non-droit. Je tire deux leçons de ce déplacement aventurier, de l’Union des Comores et de l’Union africaine :

1. Si l’Union africaine et l’Union des Comores peuvent prétendre ne pas avoir reconnu l’appartenance de Mayotte à la France, il y a eu incontestablement reconnaissance du statut actuel de Mayotte en tant que "système" pouvant contribuer à dégager des options pour un futur cadre constitutionnel des Comores. L’Union africaine et l’Union des Comores viennent de reconnaître du coup qu’avec le recul, le choix des Mahorais de juillet 1974 est salutaire et que la contribution de ce choix au règlement de la crise comorienne vient de s’imposer face à des alternatives de sortie de crise africaines et comoriennes dans l’impasse.
Je pense que l’Union africaine et l’Union des Comores se sont trompées de diagnostic. Il fallait peut-être dans un premier temps revoir la médiation africaine incarnée par Monsieur Francisco Madeira et qui remonte à dix ans en arrière, avant d’envisager l’option mahoraise. Tant mieux pour les Mahorais. Ils méritent des félicitations. Ils ont tenu, ils ont réussi.

2. La responsabilisation directe des représentants de l’immigration – émigration de l’Union des Comores pour s’occuper eux-mêmes à Dzaoudzi de l’exécution de leurs propres mesures arbitraires et infondées sans aucune base juridique, en l’absence de toute décision de justice, et portant sur un principe très cher en ce qui concerne les restrictions des libertés individuelles et collectives en dehors de tout jugement, a un grand sens pour des pays de démocratie respectable comme la France.
Je comprends à travers ce comportement que la France n’a pas voulu être mêlée à une démarche qui s’est démarquée du droit. Je m’en félicite de cette position de la France. Quand vous me demandez l’alternative prévue pour contourner cette mesure, ma réponse est courte : Je continue avec mon équipe à opposer le droit que nous défendons, à l’arbitraire que l’équipe Sambi cherche à imposer. Ce sont deux écoles différentes. Je suis certain que le droit finira par l’emporter sur l’arbitraire.

Mayotte Hebdo : Combien de temps croyez-vous pouvoir résister et que pense le peuple anjouanais de cette situation exceptionnellement dangereuse ? Bien que démocratiquement élu, ne craignez-vous pas d’être déporté hors de votre pays comme Saïd Mohamed Djohar en son temps ?

Mohamed Bacar : La crise comorienne ne saurait durer. Les temps sont révolus. L’apartheid est fort heureusement vaincu. Le mercenariat en Afrique est mis en déroute. Les partis uniques ont disparu. Il n’y a plus d’empereurs. La déportation n’est plus d’actualité et si je devais la subir parce que je défend le droit et la démocratie, je dirai très humblement que c’est malheureusement un destin : je l’assumerai. Cependant, je sais que les Anjouanais sont mûrs; ils ont beaucoup d’expérience et d’ailleurs ce sont eux qui m’ont déterminé à poursuivre la défense de leurs intérêts et à imposer le droit. C’est plutôt l’équipe de Sambi qui doit finir par comprendre et se remettre en cause. Et peut-être c’est la déportation des hors-la-loi qu’il faudrait envisager… Suivez mon regard.

"Monsieur Francisco Madeira s’est lui-même disqualifié. Il était nommé médiateur de l’Union africaine pour venir aider aux retrouvailles des Comoriens"

 

Mayotte Hebdo : José Francisco Madeira a donné instructions aux soldats tanzaniens de riposter en cas d’attaque de vos forces et a déclaré que vous regretterez le jour de votre naissance si vous persistez dans votre rébellion contre Moroni. Quelle réponse apportez-vous à ces menaces ? Pensez-vous qu’il faille en arriver à une telle extrémité plutôt que de trouver un compromis avec l’ayatollah Sambi, qui est avant tout Anjouanais comme vous ?

Mohamed Bacar : Monsieur Francisco Madeira s’est lui-même disqualifié. Il était nommé médiateur de l’Union africaine pour venir aider aux retrouvailles des Comoriens. Il n’a pas honoré son mandat puisqu’il n’a pu faire asseoir les protagonistes autour d’une même table. La situation l’a démissionné de fait. Monsieur Francisco Madeira s’entête pour rester aux Comores, alors qu’il sait que son séjour est arrivé à terme suivant les termes de références initiaux de sa mission. Si d’aventure, l’Union africaine opte pour les coups de feu comme alternative de sortie de crise aux Comores, Monsieur Francisco Madeira doit laisser la place à un général qui est censé connaître les munitions qui tuent plus efficacement et plus rapidement, pour ouvrir l’espace domanial aux futurs investisseurs sans territoire et pourchassés de chez eux pour s’installer et créer une autre nation.
Le comportement de Monsieur Madeira laisse comprendre qu’il est candidat peut-être pour s’installer à Anjouan sur des terrains qu’il envisage d'acquérir parce que laissés vacants, les occupants étant être les victimes qu’il a envisagées. Une chose est sûre, les Anjouanais sauront lui répondre tout bientôt.
Vous conviendrez avec moi que Monsieur Sambi a un problème, je le comprends : son école est connue, la monarchie et non l’Etat de droit et la démocratie. Il doit comprendre qu’en politique et surtout en ces temps, il n’y a que deux choix possibles : le droit ou le dialogue et la concertation. Entre les deux, il n’existe plus d’espace.

Mayotte Hebdo : Pourquoi refusez-vous l’organisation de nouvelles élections à Anjouan, puisque l’UA reconnaît que la nouvelle constitution des Comores est compliquée et elle accepte l’idée de son toilettage, y compris pour accorder plus d’autonomie que maintenant, si cela peut permettre d’éviter une partition politique de l’archipel comme en 1975 ?

Mohamed Bacar : L’élection n’est pas une fin en soi. Pourquoi une élection ? Si c’est pour satisfaire l’orgueil d’un homme, je dis non. Si c’est pour répondre au respect du droit, je dis Oui. J’ai fait deux propositions :

1ère proposition :
Monsieur Sambi et l’Union africaine devront accepter un débat constitutionnel à travers la mise en place d’une commission mixte d’experts constitutionnalistes internationaux et nationaux, devant statuer sur l’ensemble des textes législatifs, réglementaires et consensuels ayant présidé à l’organisation du scrutin sur l’ensemble du territoire de l’Union des Comores.

2ème proposition : Monsieur Sambi et l’Union africaine peuvent opter pour un débat politique afin de dégager un jugement consensuel sur le déroulement des présidentielles des îles. Je respecte l’Union africaine certes, mais s’il faut reprendre les élections parce que l’empereur Sambi l’a dit, j’exprime beaucoup de regrets et mon accord aurait été une contribution à l’assassinat de l’état de droit aux Comores et à l’élan démocratique qui a pris son envol dans le pays.
J’ajouterai que le futur toilettage projeté des constitutions plaide pour qu’une éventuelle élection en soit sa conséquence et non une fin. Il n’est pas logique d’organiser une élection sur la base de lois fondamentales condamnées à être toilettées. Pour ensuite revenir sur la même élection parce que le nouveau statut issu du toilettage le dicte. Je cite l’adage : "ne jamais mettre la charrue avant les bœufs". L’Union africaine devrait me dire ce qu’elle cherche à faire aux Comores, plus particulièrement à Anjouan. Qu’on dévoile le but recherché ?

"La tenue de nouvelles élections dans les trois îles, comme prévu par la loi, coûterait moins cher en argent, en vie humaine et en temps que le déploiement de l’armada de l’Union africaine"

 

Mayotte Hebdo : Que craignez-vous à travers les propositions qui vous ont été faites ?

Mohamed Bacar : Ces propositions qui me sont faites n’obéissent ni au droit, ni au consensus. Il serait dangereux d’installer le pays dans une logique monarchique. Le Roi a dit, il faut s’exécuter ! Ce sont des temps révolus. Les Comores ne méritent plus d'y revenir après tant d’années de révolutions, mercenariat, dictature de parti unique. Le pays doit aller de l’avant.
Je pense que c’est Monsieur Sambi qui a peur. En appliquant l’article 80 du code électoral qui stipule la reprise des élections sur les trois îles, il doit se réjouir. Monsieur Sambi prétend que les présidents de Ngazidja et Moili sont les biens élus et que celui d’Anjouan serait minoritaire au niveau de l’île d’Anjouan. Pourquoi Monsieur Sambi a-t-il peur de la reprise des élections sur les trois îles, conformément à la Loi ?
En matière de coût, la tenue de nouvelles élections dans les trois îles, comme prévu par la loi, coûterait moins cher en argent, en vie humaine et en temps que le déploiement de l’armada de l’Union africaine et de l’AND (Armée nationale de développement des Comores) de Monsieur Sambi.

"Mon premier souci c’est mon peuple; le second c’est le droit; le troisième c’est le respect de la personne humaine"

 

Mayotte Hebdo : Vue de Mayotte, le bras de fer qui oppose Moroni à Mutsamudu, paraît dérisoire tant la détresse de vos populations respectives est grande. N’est-ce pas en vérité un problème d’orgueil personnel qui vous empêche, l’ayatollah Sambi, vous-même et Francisco Madeira, de conclure une paix profitable pour les Anjouanais ?

Mohamed Bacar : Je préfère qu’on exclue pour un premier temps Monsieur Madeira, un diplomate mozambicain. Il ne discute pas les mêmes intérêts aux Comores que Monsieur Sambi et moi-même. Pour Monsieur Madeira, sa présence aux Comores découle d’un contrat de travail et de termes de références dictés par l’organisation qui l’emploie. Son souci c’est de justifier ce qu’il coûte à l’Union africaine. Les résultats ne sont pas liés à ses dividendes. C’est d’ailleurs cette raison qui l’emmène à conseiller et à faire décider n’importe quoi, y compris l’usage des armes, donc l’écoulement du sang. L’essentiel est qu’il y ait prorogation de mission. Il se comprend, mais les Comoriens ne le comprennent pas. Dans tous les cas, Monsieur Madeira ne pleurerait pas pour les défunts Anjouanais et même s’il devait pleurer, ça n’aurait rien à voir avec ce que je ressentirai, et encore si je m’en sors. Je fais confiance aux Anjouanais.
Pour ce qui est de Monsieur Sambi et de moi-même, je ne ressemble pas du tout à Monsieur Sambi au point de vue comportement vis-à-vis de la crise. Monsieur Sambi gère son orgueil, canalise ses rêves et ne se soucie guère de ce qui pourrait arriver à son pays, à son peuple, à ses frères et sœurs comoriens et plus particulièrement les Anjouanais. Pour lui, c’est d’abord le pouvoir, le reste vient après.
Pour ce qui me concerne, mon premier souci c’est mon peuple; le second c’est le droit; le troisième c’est le respect de la personne humaine, sa dignité et sa légitimité, plus particulièrement pour les Anjouanais qui m’ont massivement accordé leur confiance.
Je suis prêt à conclure et le plus rapidement possible une paix à Anjouan et au-delà aux Comores, voire même en Afrique, mais pas à n’importe quel prix. Il nous faut une paix durable pour engager la bataille du développement de mon île, de mon pays. Cette paix ne peut passer qu’à travers le droit ou le dialogue, la concertation et l’implication de tous les Comoriens : Anjouanais, Mohéliens, Grand comoriens et Mahorais si nous nous donnons les capacités qui intégreraient une Union des Comores plurielle. C’est ce cadre de conclusion de paix que les Anjouanais entendent profiter.
Enfin, je remercie Mayotte Hebdo et plus particulièrement Monsieur Saïd Issouf, journaliste, qui s’est intéressé à la découverte de ce qui se passe à Anjouan et de ce que les responsables Anjouanais ressentent. Encore une fois merci de votre contribution.

Propos recueillis par Saïd Issouf
 
 

Rencontres
"Ici l'embargo a déjà commencé"

L'Union africaine et l'Union des Comores sont intransigeantes sur la question de la présidence anjouanaise : "il faut asphyxier le régime rebelle" de Mohamed Bacar. Ce gouvernement est accusé d'occupation illégale du pouvoir. Des sanctions se dessinent et se renforcent progressivement. Pour le peuple anjouannais, la principale victime dans ce conflit "c'est encore et toujours la population".

Si une phrase suffisait à rassembler le peuple anjouanais dans une même voix, c'est : "ici l'embargo a déjà commencé". Et pourtant, en atterrissant à l'aéroport de Ouani, rien ne laisse réellement percevoir ce ressenti de la population. Il y règne un certain calme apparent : les colliers de fleurs, les chiromanis aux multiplient couleurs, les habituels brouhahas des aérogares accueillant tout bonnement les nouveaux arrivants.
Les signes d'une crise politique se présentent plus sur le tarmac de Mohéli où le seul avion transportant des passagers en provenance de Mayotte à destination d'Anjouan est dérouté "pour une vérification des agents de la Paf. Ils doivent s'assurer qu'aucune personne présente sur la liste n'entre ni ne sort d'Anjouan", semblent être très bien informés les passagers.
En vol, la situation amuse plus qu'elle n'inquiète. De quelle liste parle t-on ? "Le gouvernement Sambi a émis une liste de personnalités clefs à surveiller", explique encore une fois les clients de Comores Aviation. Soit ! Après 30 minutes de vol, tous les passagers débarquent à Mohéli. "S'il vous plait, veuillez présenter vos passeports au contrôle de police", lancent les haut-parleurs de l'avion. En touchant terre :
– Toi, toi, toi… Restez ici et complétez ça, ordonne un agent de la Paf mohélien.
– C'est pour quoi ça ?, cherchent à comprendre les voyageurs.
– Complétez, c'est tout ! On vous expliquera plus tard, jette notre agent en se dirigeant vers d'autres clients.
– Vous, vous, vous… Avancez et entrez dans la salle d'attente située à votre droite.
– Pourquoi vous ne retenez que les wazungus ?
– Vous êtes Mahoraise ?
– Oui…
– Alors avancez dans la salle d'attente vous n'avez pas besoin de visa.
– Pourtant je suis Française comme ces wazungus ?
– Vous êtes d'origine comorienne, vous n'avez pas besoin de visa, un point c'est tout.

"Des journalistes en provenance de Mayotte souhaitent se rendre à Anjouan. Stoppez-les !"

Une demi-heure plus tard… notre agent revient à la charge
– Montez dans l'avion et descendez tous les bagages des wazungus. Ils restent ici !, jettent-ils en langue mohélienne aux agents de Comores Aviation.
– Pour quel motif ?, cherchent à comprendre les métropolitains. Ils n'obtiendront aucune réponse.
– Vous ne partez pas pour Anjouan, c'est tout.
– Mais informez-nous au moins pourquoi ?
– Vous restez ici, c'est tout.
Le dialogue est loin d'être gagné. Un autre homme est escorté par les agents de la Paf mohélienne.
– Pour lui aussi descendez ses bagages, jette l'autorité des lieux. Inutile d'en demander le motif !? Une discussion s'entame toutefois. Finalement notre homme accepte de lâcher quelques mots :
– On a eu des ordres venants de la Grande Comore. Des journalistes en provenance de Mayotte souhaitent se rendre à Anjouan. Stoppez-les !
– Vous êtes sur que vous avez eu les bonnes informations ?…
Le regard de notre interlocuteur devient rouge vif, ce regard parle de lui-même… Mieux vaut ne pas l'énerver.
– Laissez-nous au moins parler à vos responsables.
– Vous n'avez à parler à personne. Vous restez ici c'est tout.
– Et après ?
– Vous retournez à Dzaoudzi…
– Vous vous rendez compte que vous n'avez arrêté que les wazungus ?…
Le regard de notre agent s'intrigue.
– Vérifiez bien vos informations, vous verrez que vous êtes mal informé, oriente un des journalistes.
Un brouhaha s'entame encore, alors que les bagages touchent eux aussi terre. Puis :
– Moi aussi je suis journaliste.
Le regard est surpris.
– Vous ?
– Oui moi.
– On nous a dit que les wazungus étaient accompagnés d'un journaliste mahorais, mais jamais d'une Mahoraise.
– Alors, vous voyez que vous n'avez pas les mêmes informations. Laissez-nous parler à vos supérieurs.
– Alors elle aussi, elle reste ici…, joue à la sourde oreille notre agent.
Rajoutons une couche… Des militaires escortent un cinquième homme
– Celui-ci déclare aussi être avec les journalistes.
– Vous ? Vous êtes quoi ?
– Journaliste…
Le regard de la Paf mohélienne ne comprend plus rien.
– Vous êtes deux Mahorais alors ?
Un coup de téléphone s'exige rapidement :
– Oh les gars, vous nous faites quoi là ? Il y a plus de journalistes que prévu…
La suite de la conversation se poursuit à huis clos et puis :
– Très bien, faites remonter les bagages des journalistes dans l'avion.
– Concernant cette situation, aucun stylo, cahier et encore moins appareil photo ne sera toléré… Vous venez de prendre une photo ? Donnez-moi votre appareil ! Donnez-le moi tout de suite !, s'énerve et tente de bousculer un militaire suite à une photo prise illustrant l'arrestation d'un homme descendu de l'avion, escorté par les militaires. Un second militaire intervient :
– Ne la bouscule pas, c'est une Française !
Comorienne pour le visa, ressortissant française à ne pas bousculer, wazungus à retenir à tout prix, journaliste… La situation ne dépasserait pas un peu la police de l'air et des frontières mohélienne ? La photo prise sera effacée de l'appareil, l'Anjouannais arrêté alors que son nom n'apparaissait pas sur "la liste noire" fut emmené sous bonne escorte par les militaires, tandis que les wazungus payeront 15 euros de frais de visa avant de quitter Mohéli. Direction Anjouan…

Au mois de juillet des hommes armés ont pris d'assaut l'hôtel Al-Amal

 



Comores – Discours à la nation du chef de l’Etat

"J’irai bientôt à Anjouan pour enterrer le séparatisme"

Dans une adresse à la nation, prononcée ce lundi à 21h00, le président de l’Union, Ahmed Abdallah Sambi s’est particulièrement exercé à mettre en garde le colonel Mohamed Bacar et son entourage, pour les conséquences qu’il fait courir à la population d’Anjouan à cause de son "entêtement" à vouloir défier l’Etat et la communauté internationale.

"Vous les citoyens comoriens d’Anjouan qui, dans votre grande majorité, n’approuvez pas la politique suivie par les autorités illégales actuellement au pouvoir dans l’île, n’avez rien à craindre des mesures d’embargo" décidées par l’Union africaine, à l’encontre de ce "groupuscule de 145 personnes qui entourent Mohamed Bacar".
C’est en ces termes que le président Sambi, a tenu à réaffirmer sa détermination à mettre fin au "calvaire" et aux "multiples souffrances dont sont quotidiennement victimes de nombreuses personnes civiles innocentes" à Anjouan, les obligeant même à prendre le chemin de l’exode vers les autres îles de Mwali et Ngazidja pour échapper, dit-il, à "la terreur du régime rebelle de Bacar".
Les restrictions imposées aux dirigeants anjouanais n’ont d’autres buts que de les amener à revenir à la raison, en acceptant de se soumettre aux règles du jeu démocratique par l’organisation d’une nouvelle élection dont les résultats seront acceptés par tous, explique le chef de l’Etat sur un ton grave et avec la voix saccadée. "Si vous ne voyez plus arriver dans votre île aucun projet d’investissement comme à Ngazidja ou à Mwali, ce n’est point de ma faute, mais celle des autorités hors la loi" qui persistent dans l’erreur.
Pour le président comorien, les sanctions sont graduelles et inévitables jusqu’à ce que Mohamed Bacar et ses hommes comprennent que leurs jours sont désormais comptés. Et le président Sambi d’en appeler directement aux éléments armés du régime anjouanais pour qu’ils changent de camp "avant qu’il ne soir trop tard". "Tout militaire membre de la Force de gendarmerie d’Anjouan (FGA) qui obéira à nos ordres sera immédiatement réincorporé au sein de l’armée nationale de développement, et bénéficiera de tous les avantages, car la FGA sera dissoute et démobilisée conformément aux recommandation du Conseil paix et sécurité de l’UA".
Et le président de la république de conclure son allocution retransmise à la radio et la télévision nationales, en invitant les Anjouanais à se préparer à l’accueillir prochainement. "Je serai bientôt parmi vous pour enterrer définitivement le séparatisme et y semer la bonne gouvernance, car jamais notre pays n’a eu autant d’opportunités de développement qu’en cette période de l’histoire", affirme le président de l’Union qui venait de recevoir l’après-midi les membres du comité de suivi de la mise en œuvre des sanctions internationales frappant les autorités de fait d’Anjouan.

El-Had Said Omar
 
 


Politique
Bacar et l'oligarchie

Depuis la crise avec le pouvoir de l'Union des Comores, Bacar qu'on dit très autoritaire a décidé de s'ouvrir. Il a ainsi fondé une oligarchie avec ses anciens opposants Caambi El Yachourtui et Halidi, l'ancien protégé du colonel Azali.

La table est jolie. Des feuilles en plastique du plus beau kitsch de Dubaï sont posées. Des sièges bien rembourrés s'alignent en face du fauteuil qui accueillera le président Mohamed Bacar. Dessus s'assoyent, les tenants du pouvoir : Djanfaar Salim, ministre de l'intérieur, très connu à Mayotte surtout chez l'ancienne SPPM, Caambi El Yachourtui, ancien secrétaire général de la COI, plusieurs fois ministres, conseiller spécial du président, le favori de l'ambassade de France lors des dernières élections présidentielles, Mohamed Abdou Madi, ancien ambassadeur à Madagascar, partisan de l'autonomie d'Anjouan de longue date, et consort…
Ils désirent tous se montrer, mais en retrait de Bacar qui reste l'homme fort. "J'ai décidé de m'ouvrir parce que la situation avec l'Union des Comores exige l'union de tous. Il existe beaucoup de qualités à Anjouan. On se débrouille toujours tout seul. Il faut savoir s'unir, nous sommes ainsi plus forts. C'est tout", confie le colonel Bacar.
Une ouverture qui ne fait pas beaucoup parler à Mutsamudu. En revanche, à Domoni, les langues se délient. "Il s'est mis dans la poche tous les notables de Mutsamudu. Ce sont eux qui détiennent les rênes du pouvoir, mais le peuple reste contre lui. C'est la fin du régime même s'il se croit fort avec ses amis", assure un animateur de l'ONG ID.
Mohamed Abdou Madi ne dit pas le contraire lors de notre accueil. "Le président Bacar n'est pas très bavard, mais depuis notre arrivée nous l'avons convaincu d'être très bavard avec vous. Les choses ont changé, il n'a plus les mêmes conseillers." D'ailleurs ces derniers se montrent beaucoup plus vindicatifs que le président lui-même.
"Nous sommes prêts à la guerre maintenant. Pourquoi attendre ? Venez maintenant, nous sommes prêts. Plus ils attendront, plus le risque d'une guerre sale se pointera. Je veux une guerre propre, homme de rang contre homme de rang. Alors que s'ils attendent, si la rumeur devient incontrôlable, que se passera-t-il ? Les gens sur la liste des Comoriens qui ne peuvent pas quitter l'île sont en danger. Et je ne veux pas que des innocents soient tués. Des innocents qui ont comme seul tort d'être des proches de Sambi. Mais un rien peut créer l'étincelle. Nous sommes entrés dans un contexte de haine", insiste le ministre Abdou Madi.

"Je préviens juste les ressortissants français qu'il faut qu'ils se préparent à nous accueillir. A accueillir des estropiés, des manchots…"

Les réactions des gouvernants s'apparentent à celles d'une bête blessée. Ils jouent leurs dernières cartes. Le régime de Bacar vit ses derniers instants et ses courtisans l'ont bien compris. Ils ne se battent qu'avec plus de force. Aux Comores, vivre sans pouvoir est impossible alors il vaut mieux mourir ou s'exiler. "Je préviens juste les ressortissants français qu'il faut qu'ils se préparent à nous accueillir. A accueillir des estropiés, des manchots…", assure le conseiller plénipotentiaire.
"Personnellement, je pense qui si l'AND se présente seule, il y aura une guerre et nous sommes loin de partir vaincus. En revanche, s'ils obtiennent le soutien de l'Union africaine, notamment aérien, cela sera dur, mais nous nous battrons. Gouverner c'est prévoir. Nous avons déjà commencé le rationnement. Nous pouvons tenir plus de deux mois. Mais nous ne laisserons pas les gens se révolter. Nous ne laisserons pas le temps pour ça. Nous forcerons l'Union des Comores à la guerre avant. Les Grands comoriens et les Mohéliens qui sont de notre côté dans les autres îles, ne nous abandonneront pas. Nous nous battons pour le bien-être de tous : Anjouanais, Grands Comoriens, Mohéliens et même les Mahorais", conclut Mohamed Abdou Madi.
L'oligarchie n'a jamais autant été si évidente. Une poignée de familles se bat afin de conserver son pouvoir, ses avantages. Elle essaye d'en obtenir plus sous différents prétextes, loin d'être absurdes. En quoi l'autonomie serait un mauvais système dans un pays qui ne connaît pas de nationalisme. Un pays où le village constitue la structure de référence du quotidien. Les villageois de Mohéli développent en toute autonomie un tourisme citoyen exemplaire.
Pourquoi ne pas tenter l'expérience sur une plus grande échelle ? Ce système profitera plus à certains qu'à d'autres. Il peut aussi échouer, mais pourquoi l'Union des Comores aurait peur de l'échec, alors que depuis plus de 30 ans, elle a appris à l'apprivoiser ?

Gérôme Guitteau
 
 

Embargo sur Anjouan
L’ultimatum de 45 jours expire demain

Les 45 jours imposés par l’Union africaine et le gouvernement de l’Union des Comores au régime du colonel Mohamed Bacar et ses acolytes pour organiser des élections arrivent à échéance demain samedi. Le ministre de la coopération décentralisée Mohamed Abdou Madi est formel : "s’il faut se battre, on se battra jusqu’à notre dernier souffle".

Depuis quelques semaines, la population anjouanaise vit quotidiennement dans le doute et le stress. La jeunesse désoeuvrée, ne sait plus à quel saint se vouer. A l’approche du blocus total, les commerçants de la place commencent à faire leurs réserves en denrées alimentaires et produits de première nécessité, comme le pétrole et la farine. L’explosion du prix de cette dernière a d’ailleurs provoqué une grève des boulangers.
"On va encore nous enfoncer au fond de la tombe", lance un jeune sportif qui s’entraîne avec son équipe de football qui doit se rendre se rendre à Mayotte le 4 décembre prochain pour participer au Tournoi de la Concorde. "J’aimerai bien que nos représentants politiques se mettent autour d’une table pour discuter afin de trouver une solution à cette crise qui risque encore de pénaliser l’Anjouanais d’en bas. On n’est pas encore sous embargo et la situation est déjà difficile", poursuit le jeune sportif. Un refrain qui résonne dans les chaumières de la capitale anjouanaise.
Pourtant, au sommet de la pyramide gouvernementale, on se dit "calme et serein". Le bouillonnant ministre de la coopération décentralisée, Mohamed Abdou Madi ancien rédacteur en chef de Radio Comore et ex-ambassadeur des Comores à Madagascar, numéro trois de la liste des 145 personnes considérées comme des "menaces pour la paix", juge les mesures de l’Unité africaine (UA) et du gouvernement de l’Union des Comores "abusives et non injustifiées" dans une rencontre avec la presse.
"Ils nous bassinent les oreilles avec leur Conseil de paix et de sécurité (CPS), moi je leur conseillerai de changer leur sigle en CGP, Conseil de guerre et de provocation. Des commerçants et des hommes d’affaires anjouanais qui ne sont ni ministres, ni mêlés de près ou de loin à la politique et qui ne figurent même pas sur la black liste sont visés par ces mesures restrictives et privés de leur liberté de voyager. De telles pratiques relèvent de l’arbitraire si elles ne sont pas motivées d’une décision judiciaire", poursuit le ministre.
En effet, samedi dernier, Amir Djanfar, un entrepreneur originaire de Domoni et propriétaire d’un grand hôtel dans la plus importante ville du Sud, qui faisait escale à Mohéli à l’issue d’un voyage en métropole, a été interpellé par les forces de la gendarmerie à sa descente à l’aéroport Bandar Essalam de Mohéli. Reconnu comme étant un fervent défenseur du séparatisme anjouanais et soupçonné d’être un partisan du régime Bacar, il passera son week-end dans les geôles mohéliennes avant d’être refoulé sur Mayotte dans la journée de lundi, suite à une décision du gouvernement de l’Union des Comores.

"Nous mènerons notre combat jusqu’au bout de notre dernier souffle"

"Si Mohamed Abdallah Sambi veut nous mettre à genoux, nous lui montrerons que nous mènerons notre combat jusqu’au bout de notre dernier souffle", persiste le ministre.
Pourtant, dans les rues de Mutsamudu, si certains redoutent les méfaits de l’embargo et d’un éventuel débarquement militaire de l’UA, d’autres estiment en revanche que seule la force permettra de mettre fin définitivement à la crise. Pour ceux-là, les forces de gendarmerie anjouanaise (FGA) sont en effet constituées essentiellement de jeunes dépourvus de formation et elles se replieront à la première détonation d’une arme à feu. Un sentiment que les autorités anjouanaises, par le biais du ministre de la coopération décentralisée, ne partagent pas du tout.
"Nous avons déjà concocté notre plan de résistance et nous sommes suffisamment armés pour lutter. Nous nous sommes déjà confrontés à l’armée comorienne sous l’ère Taki en 1997 et nous sommes sortis vainqueurs. Nous attendons avec une impatience farouche l’arrivée de la date du 24 novembre", prévient avec détermination le ministre.
Anjouan qui ne dispose aujourd’hui d’aucun organe de presse excepté la Radio et Télévision d’Anjouan, (RTA), dont les informations sont contrôlées par le gouvernement, donne le visage d’un régime dictatorial. Dans les rues de la capitale et de ses environs, décrocher des informations concernant le régime Bacar auprès de la population est un vrai parcours de combattant.
"Si on me voit discuter avec toi, je risque de me retrouver au camp militaire de Mirontsy baptisé "Pentagone", lance sous couvert de l’anonymat un vendeur de poissons originaire de Pagé. Mon grand frère instituteur s’est fait licencier de son boulot parce qu’il avait eu le malheur de critiquer le régime", poursuit-il.
Craignant le durcissement de l’embargo et un débarquement militaire imminent, certains se disent prêts à braver la mer pour regagner Mayotte par kwassa-kwassa avec femmes et enfants plutôt que de tomber sous les balles de l'armée tanzanienne.

De notre envoyé spécial à Anjouan,
Soldat
 
 

Immigration clandestine
"Les kwassas sont invisibles"

Malgré la vigilance, chaque jour des sans papier expulsés reviennent à Mayotte. Comment parviennent-ils à rentrer ? D’où partent-ils ? Dans quelles conditions ? La surveillance s’accroît également du coté anjouanais. Les gendarmes rodent sur les plages. Mais police, gendarmerie, douane, service maritime ne parviennent pas à stopper l’élan des kwassas. Un nouveau dicton est même né à Anjouan : "les kwassas seraient devenus invisibles".

Alors que le ministre de la coopération décentralisée et de l’environnement, "son excellence Abdou Madi" comme l’appellent ses partisans, se distrait à une soirée en déclarant : "vous voyez, ici je n’ai pas de contrainte, on s’amuse et on fait la fête comme partout", à quoi donc peuvent s’occuper les gens du peuple ?
– Si je savais par quel moyen quitter cette île sans aller mourir en kwassa, je le ferai, songe le serveur de la même soirée. Ses pensées vont encore plus loin :
– Quand je les vois tous s’amuser alors que le peuple à faim, il m’arrive de prier Dieu : qu’Anjouan s’écroule une fois pour toute et ça sera fini pour nous tous, plutôt que de continuer à vivre cette vie de misère, crache-t-il.
Travailler tous les jours avec un salaire mensuel de 80 euros pour nourrir sa famille, il est vrai que la vie est chèrement payée pour notre homme qui finit par devenir raisonnable :
– Mieux vaut me taire, je risque sinon de perdre mon boulot.
Les rencontres de ce genre, il n’y en a pas des masses à Anjouan. Lorsqu’il s’agit de discuter kwassas, beaucoup ont peur pour leur travail, leurs familles :
– Ici, parler de kwassa peut nous conduire en prison, nous informe-t-on.

"Avec 100 euros gagnés à Mayotte on peut toujours nourrir sa famille"

Il y a à peine une année, une équipe de Mayotte Hebdo accompagnée de journalistes de TF1 s’étaient rendue sur la plage de Bambao la M’tsanga pour s’informer sur les départs des kwassas et si nous y retournions ?
Pour atteindre ce village, nous parcourons le village de Patsy où se trouve la résidence présidentielle de Mohammed Bacar. Une halte dans ce village, à la rivière, et toutes les personnes rencontrées déclarent revenir de Mayotte :
– Je n’ai pas choisi. C’est la loi chez vous là bas. Maintenant je préfère rester à Anjouan. Il est vrai que la vie est plus simple pour nous à Mayotte. On a toujours des petits boulots pour nourrir la famille, mais courir à longueur de journée, ça finit par rendre malade. À force j’avais mal aux côtes.
Cette déclaration amuse les camarades de Saïd*, mais comme lui, tous ces jeunes hommes qui lavent paisiblement leur linge à la rivière ont déjà au moins une fois dans leur vie connu cette situation. Abdou* déclare même :
– Moi, dès qu’on m’envoie des sous je reprends la mer. Regardez, ici il n’y a rien à faire. Il n’y a pas de travail. Il n’y a pas d’argent. Mieux vaut aller faire du sport à Mayotte. Avec 100 euros gagnés, on peut toujours nourrir sa famille.
– Et quand comptes-tu partir ?… Les clapotis des linges mouillés tapant sur les roches de la rivière sont les seuls échos qui parviennent jusqu’à nous. Ces sujets là sont devenus tabous ici.

"Avec les portables, les renseignements remontent vite jusqu’ici"

Mêmes sons de cloches dans le village. Une épicière déclare être déjà venue à Mayotte :
– J’avais un kyste à la main droite. Je suis restée 3 mois à Labattoir. Mais vivre cachée ce n’est pas une vie. J’ai préféré revenir dès que mon opération s’est finie.
Aujourd’hui, Amina* tient une petite boutique :
– Je ne gagne rien car ici il n’y a pas d’argent, mais au moins je suis chez moi, se console-t-elle. Une construction sort lentement de terre juste à coté, un monsieur nous reconnaît :
– Vous êtes des journalistes de Mayotte ? Je vous connais, je suis de Combani, jette-t-il du haut du béton qui se coule.
– Et maintenant vous vivez ici ?
– Et oui, mais je n’ai pas choisi, c’est la loi à Mayotte.
– Et vous comptez repartir ?… Les bruits des marteaux ne cachent nullement la réponse. Notre Marseillais choisit d'endiguer là la conversation.
Nous reprenons la route. Sur le chemin, un autre homme semble nous avoir reconnu. Il a les pieds plongés dans la Tratringa, une rivière qui traverse le village de Chandra et coule jusque vers le pont qui porte le même nom.
– Vous êtes de Mayotte ? Donnez-moi votre adresse svp. J’ai l’intension de venir à Mayotte, je recherche un point de chute. Regardez, je suis un bon cultivateur, montre-t-il en direction de sa femme et ses enfants qui grattent les mangues pour la préparation des achards.
– Mais vous savez qu’à Mayotte ce n’est pas facile. Les policiers sont très vigilants.
– Oui, mais je connais un commandant qui m’amènera sans grabuge. Il est bien informé sur les patrouilles de la Paf, il a des amis là-bas…
– Des amis au sein de la Paf ?…
– Je ne sais pas au juste si c’est au sein de la Paf, mais avec les portables les renseignements remontent vite jusqu’ici.
– Quels renseignements ?
– Par exemple quand la Paf sort en mer. Quand elle ne sort pas. Comme ça, c’est plus simple pour les kwassas de rentrer.
– Et vous pouvez nous amener jusqu’à votre ami ? La chute de la cascade s’entend à des kilomètres à la ronde, notre ami stoppe net la discussion.
Demain à l’aube un kwassa est prévu au départ.

Bambao la M’tsanga, "deuxième port anjouanais, n°1 pour les départs des kwassas"

Nous atteignons finalement le village de Bambao la M’tsanga, "deuxième port anjouanais, n°1 pour les départs des kwassas", rapportaient les gens lors de notre précédent voyage. Allons-y au culot…
– La plage des kwassas, c’est par-là ?, interroge-t-on. Des jeunes gens regroupés au bord de la route répondent
– Oui oui, descendez tout droit.
– Mais tu es fou ou quoi ? Tu ne sais même pas qui sont ces gens et tu réponds, se soulève une seconde voix tandis que la voiture s’éloigne et arrive à ladite plage.
Comme il y a une année, des hommes sont paisiblement assis en train de jouer aux dames version anjouanaise. Des pierres noires s’affrontent aux pierres blanches installées à même le sable.
– Bonjour messieurs…
– Vous êtes des journalistes de Mayotte Hebdo ?, questionne immédiatement un jeune homme, la vingtaine.
– Oui et vous ?
– J’étais à Mayotte.
– Vous vivez ici maintenant ? Le regard est méfiant…
– Ici ce n’est plus comme avant. Je n’ai pas le droit de vous parler sinon je risque gros.
– Vous risquez quoi ?
– L’emprisonnement et si les kwassas sont pris, vous comprenez que je me fais des ennemis.
– Il y a beaucoup de kwassas qui partent d’ici ? La réponse ne vient pas, mais le regard en dit long. Soudainement une voix se lève :
– Avant, ici, des kwassas il en partait beaucoup, mais maintenant c’est fini ça.
– Alors d’où partent-ils ?
– Il n’y a plus de kwassa. Les Anjouanais préfèrent rester chez eux.
– Pourtant chaque jour il y a des arrivées à Mayotte ? Le jeu de dames bat son plein… aucune réponse ne sortira plus de cet échange.
Un peu plus loin, un vieux monsieur, bras repliés derrière le dos observe la scène. Il nous fait signe d’avancer.

"Quand un de nos enfants parvient jusqu’à Mayotte, c’est toute la famille qui est sauvée"

– Vous recherchez des informations sur les kwassas ? Les gens ne vous diront rien. Le kwassa reste le seul moyen pour un Anjouanais de quitter cette île et le gouvernement surveille. Personne ne livrera les commandants. Quand un de nos enfants parvient jusqu’à Mayotte, c’est toute la famille qui est sauvée, explique t-il de la voix posée d’un vieillard sage. Il poursuit :
– Les kwassas sont là. Vous ne les voyez juste pas. Mais ils sont là. Demain à l’aube, il n'y en a qu'un qui est prévu au départ. Il partira d’ici. De cette plage. Mais personne ne vous le dira. Les gendarmes sont là. Le monsieur en chemise blanche et pantalon bleu que vous voyez là-bas, c'en est un. Une fois qu’on a fini de parler allez vous promener sur la plage… Faites comme si je ne vous avais rein dit. Regardez-moi, je ne suis qu’un vieil homme. Respectez mes paroles et n’interrogez plus personne ici. Chacun travaille dur pour réussir à gagner 200, 250, parfois jusqu’à 400 euros pour gagner Mayotte. Les Comoriens cotisent même entre eux et achètent eux-mêmes un kwassa pour effectuer le trajet.
– Achètent un kwassa ?
– Oui ! Tout le monde sait où en trouver. C’est vendu comme de simples bateaux de pêche. Avec 2.000 euros, si tu payes cash, tu repars immédiatement avec ta barque de 7 mètres. En crédit il faut compter 3.000 euros. Pour ceux qui voyagent à 10 sur une barque, en payant 400 euros par tête, le commandant a déjà remboursé sa barque, vous voyez ? Tous les passagers payent à l’avance. Les commandants laissent l’argent en sûreté ici. Si la barque est saisie, sa famille a déjà de quoi vivre.
– Il semble que le plus compliqué à se procurer ce sont les moteurs ?
– Vous savez ce qu’on dit ? Les moteurs seraient volés à Mayotte… Moi je ne suis qu’un pauvre homme, je ne peux confirmer si c’est vrai ou faux. Ce que je sais, c’est qu’avec Dubaï et Zanzibar, il n’est pas difficile de se procurer des moteurs. Mais vous savez, quelle que soit la situation, si Anjouan ne redresse pas sa balance économique, les kwassas ne peuvent s’arrêter. Pour quatre raisons précises les gens partent d’ici pour Mayotte : des raisons économiques; pour l’hôpital, pour les accouchements; les mariages, les circoncisions de leurs enfants installés à Mayotte; et pour l’argent. Nous ne sommes pas prêts à obtenir ces choses à Anjouan. Alors à 30 euros, 40 euros, 50 euros comme ce fut le cas à mon époque, ou aujourd’hui où on paye jusqu’à 400 euros, les Anjouanais continueront à venir à Mayotte au péril de leur vie.

Denise Marie Harouna
 
 


Mission d’assistance électorale et sécuritaire (MAES) aux Comores de l’Union africaine

Chronologie

8 juin 2007
Les élections prévues dimanche sur l’île d’Anjouan ont été reportées, une semaine après des tirs des gendarmes anjouanais qui ont fait trois blessés parmi les civils. Selon les autorités, "les conditions en matière de sécurité ne sont pas assez satisfaisantes à Anjouan pour que des élections y aient lieu dimanche". Le scrutin est repoussé au 17 juin. L’UA a condamné les dirigeants d’Anjouan, jugeant "intolérable" l’incident qui s’est déroulé à l’aéroport.

10 juin 2007
Les Comoriens ont voté lors du premier tour des élections des présidents des trois îles de l’archipel, dont Anjouan où le scrutin a été maintenu par les autorités locales malgré un report d’une semaine ordonné par le gouvernement fédéral. Le conseil de Paix et de Sécurité de l’UA a mis en garde les autorités anjouanaises contre l’organisation du scrutin, "en violation" du décret le reportant d’une semaine. Les candidats opposés au président sortant Mohamed Bacar ne participeront pas au vote.

12 juin 2007
Le président de la Commission de l’UA, Alpha Oumar Konaré, a "condamné fermement" la tenue de l’élection du président de l’île comorienne d’Anjouan, non reconnue par l’État fédéral des Comores, malgré l’appel du Conseil de paix et de sécurité du 9 juin 2007. Le président de la Commission "portera l’évolution de la situation à Anjouan à l’attention du Conseil de paix et de sécurité". L’ex-président d’Anjouan, Mohamed Bacar, a été réélu dimanche au premier tour de l’élection de la présidence de l’île.

14 juin 2007
Le porte-parole du gouvernement fédéral, Abdouroihim Saïd Bakar, a déclaré que "suite à l’intransigeance et à l’insoumission des autorités d’Anjouan, toutes les options sont possibles, y compris l’option militaire". Le porte-parole a déploré le fait que le président d’Anjouan, Mohamed Bacar, proclamé élu au premier tour du scrutin tenu dimanche, ait "campé sur ses positions", précisant qu’il "a lancé un défi, non seulement l’État comorien mais aussi à l’UA".

15 juin 2007
L’Union africaine (UA) fait savoir qu’elle n’excluait pas de transformer le mandat de sa mission actuelle de sécurisation des élections aux Comores en vue d’une éventuelle intervention armée sur l’île comorienne d’Anjouan, en conflit ouvert avec l’État fédéral. "On ne peut pas exclure l’option de transformation du mandat de la mission (de l’UA aux Comores) pour l’ajuster à la situation actuelle", déclare le Commissaire à la paix et à la sécurité de l’UA, Saïd Djinnit.

16 juin 2007
Le gouvernement des îles Comores demande l’aide de l’UA pour mettre au pas l’île d’Anjouan qui a procédé à l’élection d’un président malgré la remise du scrutin par l’UA pour cause de manque de sécurité. Le Vice-président des Comores, Idi Nadhoim, est en visite au siège de l’UA en Éthiopie et souhaite l’envoi d’une force de 320 policiers et militaires sur l’île renégate pour procéder à l’arrestation du Président autoproclamé Bacar et au démantèlement de sa milice privée.

20 juin 2007
L’UA, qui juge "nulle et non avenue" l’investiture du colonel Mohamed Bacar à la présidence de l’île comorienne d’Anjouan demande aux autorités d’Anjouan de "faciliter l’organisation d’un premier tour de l’élection du président de l’île à une date qui sera convenue par toutes les parties prenantes (…) et de créer les conditions d’élections libres, justes et transparentes". L’UA exige en outre des autorités anjouanaises qu’elles "autorisent le déploiement de la MAES".

22 juin 2007
La ministre des Affaires étrangères sud-africaine, Nkosazana Dlamini-Zuma, dirigera une mission de l’UA samedi aux Comores, chargée de rendre compte de la situation tendue à la suite d’élections dans cet archipel de l’océan Indien, notamment dans l’île d’Anjouan. L’UA n’exclut pas de transformer le mandat de sa mission actuelle de sécurisation des élections aux Comores (MAES) en vue d’une éventuelle intervention armée sur l’île d’Anjouan.

25 juin 2007

Selon des résultats provisoires annoncés par le ministère comorien de l’Information, L’ex-ministre Mohamed Abdouloihabi a été élu dimanche président de l’île comorienne autonome de Grande-Comore, alors que l’homme d’affaires Mohamed Ali Said arrive en tête du scrutin sur l’île de Mohéli. À Anjouan, l’ex-président de cette île, Mohamed Bacar, a été élu le 10 juin dès le premier tour et investi à l’issue d’un scrutin organisé en dépit du refus de l’État fédéral, et la condamnation de l’UA.

26 juin 2007
La délégation ministérielle de l’UA qui s’est rendue aux Comores a demandé la tenue d’une élection présidentielle libre et transparente dans l’île autonome d’Anjouan. La mission ministérielle de l’UA "s’engage à poursuivre les négociations avec toutes les parties comoriennes pour surmonter les obstacles au processus de réconciliation nationale aux Comores". L’UA juge "nulle et non avenue" l’investiture du colonel Mohamed Bacar à la présidence d’Anjouan.

1er juillet 2007
Les autorités fédérales de l’Union des Comores ont demandé à l’UA d’intervenir militairement dans l’île d’Anjouan "pour rétablir l’ordre". Dans un communiqué, le gouvernement comorien demande la tenue d’une réunion du Conseil de paix et de sécurité pour autoriser la révision du mandat de la Mission d’assistance électorale et sécuritaire de l’UA à Moroni, et lui permettre d’intervenir à Anjouan pour rétablir l’ordre et faciliter l’organisation rapide d’élections libres et démocratiques".

2 juillet 2007
Le gouvernement comorien a critiqué la décision de l’UA d’organiser des négociations en Afrique du Sud avec les autorités de fait d’Anjouan, à la suite d’une mission ministérielle conduite par l’Afrique du Sud le 24 juin dans l’archipel. Selon le gouvernement, cette mission a été "un échec" et ses "objectifs n’ont pas été respectés", précisant que "cet et échec a provoqué une grande déception et risque de mettre en danger la paix et la stabilité qui ont toujours prévalu dans les deux autres îles comoriennes".

20 juillet 2007
Un nouveau chef de l’armée a été nommé aux Comores. Selon un décret signé par le chef de l’État, le lieutenant-colonel Mohamed Amiri a été nommé chef d’état-major de l’armée nationale de développement, en remplacement du lieutenant-colonel Said Hamza, limogé en mai par le président de l’Union des Comores. Le lieutenant-colonel Hamza avait été démis de ses fonctions après des affrontements sur l’île d’Anjouan, entre l’armée comorienne et les gendarmes d’Anjouan.

10 août 2007
Le président de l’île comorienne d’Anjouan, Kaambi Houmadi, nommé fin avril par le pouvoir fédéral, a formé un gouvernement "de transition et de libération" de l’île. Cette nomination était intervenue à l’expiration du mandat de cinq ans du président d’Anjouan, le colonel Bacar, et peu avant les élections des présidents des îles en juin. Le colonel Bacar avait rejeté cette nomination, avant d’être réélu lors d’un scrutin non reconnu par le pouvoir fédéral et l’UA.

16 août 2007
Le Conseil de paix et de sécurité (PSC) de l’UA menace d’imposer des sanctions ciblées à certaines autorités de l’île d’Anjouan. Le Conseil a aussi décidé de réviser le mandat de la Mission électorale et d’assistance à la sécurité de l’UA (MAES) et la taille de ses forces déployées aux Comores, prolongeant le mandat de la mission jusqu’au 31 décembre 2007. Le Conseil encourage les pays qui ont fourni des troupes à cette Mission, à savoir l’Afrique du Sud, le Soudan et la Tanzanie, à maintenir leur soutien.

19 septembre 2007
Les ministres des Affaires étrangères de l’UA ont tenu une réunion au Cap, en Afrique du Sud, pour discuter de la situation politique aux Comores. Les ministres ont rappelé la priorité de l’UA "de consolider la paix, la sécurité et la réconciliation nationale aux Comores". Lors d’une réunion précédente, en juin, l’UA avait déclarée "nulle et non avenue" la réélection du colonel Mohamed Bacar à la présidence d’Anjouan, une des trois principales îles de l’archipel.

10 octobre 2007
L’UA a imposé des restrictions sur les déplacements et gelé des avoirs financiers à l’étranger des autorités de l’île d’Anjouan. Selon le responsable du Conseil de paix et de sécurité de l’UA, Said Djinnit, "si durant cette période (45 jours), les autorités (…) acceptent d’organiser de nouvelles élections, ces sanctions seront levées. Dans le cas contraire, le CPS prendra des mesures plus coercitives comme un blocus aérien et maritime".

2 novembre 2007
L’UA et le gouvernement de l’Union des Comores décident d’appliquer des sanctions contre les autorités rebelles d’Anjouan, une des trois îles qui forment l’Union des Comores (Grande-Comore, Mohéli et Anjouan). Les sanctions ont pour but de "restreindre les mouvements des autorités et de ceux qui les soutiennent […] et de geler leurs avoirs". Selon l’UA, tout retard supplémentaire dans la résolution de la crise déstabiliserait l’Union encore davantage.

5 novembre 2007
L’Union africaine a commencé son blocus naval sur l’île d’Anjouan dans les Comores samedi, tel qu’annoncé le mois dernier. L’envoyé spécial de l’UA aux Comorres, Francesco Madeira, a déclaré au cours de la fin de semaine que rien ne pouvait entrer sur l’île avant d’avoir été vérifié par la Mission d’assistance électorale et sécuritaire (MAES) de l’UA, qui patrouille au large de l’île. Les soldats y participant sont issus des Comores et de Tanzanie.

6 novembre 2007
Le gouvernement fédéral des Comores affirme lors de la visite d’une délégation de l’UA que plusieurs navires bafouent les sanctions et le blocus maritime imposé à l’île d’Anjouan par l’UA. Les autorités des Comores désignent notamment un navire de l’île d’Anjouan qui accosté en Tanzanie et un navire français de passagers ayant voyagé entre Anjouan et l’île de Mayotte, à proximité des Comores. Le blocus de l’UA est en application depuis la fin de semaine.

Centre d'études et de recherches internationales – Université de Montréal – Canada
Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix
 
 


Economie anjouanaise

"Ici on survit"

Anjouan est la principale zone de production agricole de l'Union des Comores avec la vanille, l'ylang-ylang et le clou de girofle qui fournissent 80% des apports en devises. Pourtant, la population principalement rurale ne s'en sort pas. Au quotidien, elle s'atèle à la campagne et aux petits boulots pour essayer de survivre.

Impressionnant, la végétation anjouanaise ! Une nature riche, avec une agriculture qui semble plus développée qu'à Mayotte, s'aperçoit des kilomètres à la ronde. Malgré le relief plus montagneux, le peuple anjouanais cultive des hectares de clous de girofles, de pieds de bananes, de feuilles de cressons, de plants de cacahuètes, de maniocs… Et contrairement à Mayotte, les cultures ne se mélangent pas.
Un champ de cacahuètes ne contient que des plants d'arachides, idem pour les autres cultures, ce qui procure à l'œil une toute autre vision en admirant les vallées, les cuvettes et l'intérieur des terres anjouanaises. A Patsy, un adolescent de 16 ans s'est lancé dans la culture de cresson, il en plante sur 5 kilomètres le long de la rivière. "Encore là, c'est rien du tout. Lui, il est encore jeune, il veut imiter les adultes", se moquent ses camarades. Belle copie.
"Hélas, je ne vends pas beaucoup cette salade. Les gens ici n'ont pas l'argent pour acheter. Alors ça orne la rivière c'est tout", se chagrine le gamin. Vendu à 25 centimes d'euro le tas au marché, le cresson comme beaucoup d'autres produits du marché ne s'écoule pas.
"Ici, l'argent ne circule pas. Le tourisme ne marche pas. L'Anjouanais est confiné sur son île. Comment voulez-vous qu'il y ait un échange d'argent ?", interrogent les agriculteurs. Pourtant, les prix sont plus qu'abordables : 50 centimes d'euro le tas de cacahuètes fraîchement débarquées des campagnes, 2 euros le kilo de litchis… sans compter les fruits de mer. Sur 427 km de côtes, les langoustes se monnayent entre 2 et 4 euros et le poisson à 2,5 € pour le plus cher au kilo. Malgré leur volonté, les Anjouanais n'arrivent pas à vivre de l'agriculture ni de la pêche, "à moins que ce soit juste une culture vivrière", expliquent les marchands.
Alors beaucoup se tournent vers des travaux plus laborieux mais qui rapportent un peu plus. Comme toute cette famille qui travaille à la récolte de sable et petits cailloux au bord de la mer. "Nous devons avec nos mains gratter le sable de la mer et en remplir des sacs de riz. Nous nous dirigeons ensuite vers la route où nous devons faire des piles de 3 tonnes. Si un acheteur arrive à remplir son camion, il règle 30 euros. Nous, nous gagnons 15 euros, le reste se partage entre l'état et les gros propriétaires qui gèrent ce gisement", déroule une vieille dame qui, à force de creuser, nous répond depuis son trou. Ce sable et ces petits cailloux ramassés servent à la construction des maisons en dur.
Les enfants à partir de 5 ans sont également réquisitionnés. Les visages sont tristes, les corps fatigués, "mais nous n'avons pas le choix. Soit nous vivons ainsi, soit nous partons mourir à la mer", déclare un grand frère qui a déjà connu le voyage vers Mayotte et qui jure ne plus jamais recommencer.
D'autres activités permettent la survie à Anjouan, comme les chariots transportant les provisions. Fabrication artisanale de tôles, de tuyaux assemblés sur quatre roues poussées par un homme, "par jour si tout va bien je peux gagner jusqu'à 15 euros, mais c'est rare. Il se peut que je me promène toute la journée sans presque rien gagner", se désole l'un des remorqueurs de ces petits chariots. L'homme est d'autant plus bouleversé qu'il a quatre bouches de 4 à 16 ans à nourrir, "rien que leur école me revient à 20 euros par mois".

Denise Marie Harouna
 
 

Biographie du président colonel Mohamed Bacar

Mohamed Bacar est né le 5 mai 1962 à Anjouan. Cadet d'une famille nombreuse, il effectue après son bac une formation à l'école navale de Brest. De retour aux Comores, il est responsable de la gendarmerie. Il effectue ensuite divers stages de perfectionnement aux États-Unis ou en France.
Très rapidement après les mouvements d'insurrection du 3 août 1997 de l'île d'Anjouan face à la République fédérale islamique des Comores, le commandant Bacar avec le lieutenant-colonel Said Abeid Abdérémane prennent les opérations en main. Le 9 août 2001, Said Abeid est écarté par un coup d'état de la gendarmerie. Dès lors, devenu le colonel Bacar, il participe activement et en plein jour à la vie politique de l'île.
Il négocie et obtient d'Azali Assoumani, président de la nouvelle Union des Comores, la révision de la constitution et une très large autonomie au sein de l'Union des Comores avec les Accords de Fomboni, du nom de la capitale de Mohéli où s'est déroulé la signature de l'accord en 2001.
Les résultats des élections de 2002 restent contestés. En juin 2007, alors que le président de l'UC Ahmed Abdallah Sambi reporte les élections du 10 juin au 17 juin, parce qu'il n'a pas pu atterrir à Anjouan afin de vérifier les conditions de vote, Bacar maintient les élections le 10 juin. Il est le seul à faire campagne. Il récolte 46% de vote si l'on prend en compte l'abstention, 73% des votants.
La crise avec la présidence de l'UC a débuté quand Sambi a déchu de son mandat le colonel Bacar puisque celui-ci était arrivé à terme le 14 avril 2007. Lors de l'intronisation du président intérimaire, le 2 mai 2007, la gendarmerie d'Anjouan, contrôlée par Bacar, a affronté l'armée nationale de développement aux mains de Sambi. La première a mis en déroute l'AND et a même tué un de ses membres.

Avec Wikipédia
 
 


A quelques jours de la fin de l'ultimatum de l'UA

La population s’inquiète

Mohamed Youssouf dit Cosio, 27 ans, sans emploi

"Nos représentants politiques doivent savoir ce qu’ils veulent. En 1997, la population anjouanaise s’est massivement prononcée en faveur du séparatisme. En 2001, sous l’égide de l’UA, les dirigeants comoriens se sont retrouvés à Mohéli pour parapher les Accords de Fomboni. Je pensais qu’à partir de cette date les Comores allaient sortir du gouffre. Je m’aperçois avec une immense tristesse qu’au lieu d’avancer, on recule. Avec cette présidence tournante, je croyais qu’à notre tour, les choses allaient s’arranger. J’ai l’impression aujourd’hui que mon rêve s’est transformé en cauchemar.
Plongé au fond de l’abîme, on va nous mettre en plus sous embargo. Sincèrement, si j’avais la possibilité de partir d’ici je le ferai et croyez-moi je n’y remettrai plus jamais les pieds car je n’ai plus d’espoir pour mon île".

Mohamed Lihadji dit Mascaroi, 36 ans, fonctionnaire
"L’embargo n’est pas la solution pour ramener les dirigeants anjouanais sur la table des négociations. Nos élus et ceux de l’Union des Comores doivent se concerter pour ne pas mettre encore une fois la vie des Anjouanais en danger car ce n’est pas Mohamed Bacar qui sera touché, mais l’ensemble des citoyens anjouanais. Nous avons encore en mémoire le débarquement de l’armée comorienne en 1997 conduite par Abderémane Ahmed Abdallah et Armand Humblot. La première cible visée par les Anjouanais (sur place) était les biens du président défunt (car c'est son fils qui était à la tête de l'armée qui débarquait, ndlr), aussi bien à Domoni sa ville natale que dans la capitale. Le président Sambi doit bien réfléchir car il a toute sa richesse ici. Il n’a pas intérêt à suivre les conseils du secrétaire général de l’Union africaine M. Francisco Madeira qui a l’habitude de rétablir la paix par les armes. Il n’a qu’à aller s’occuper des affaires de son continent miné par la corruption et la famine".

Abdou Halidi, 52 ans, agent de la Paf
"On n'est pas encore sous embargo et la situation est déjà difficile. Les commerçants de la place commencent déjà à profiter de la situation. Sous prétexte de risque de pénurie, ils commencent à monter artificiellement les prix pour rentabiliser leur commerce. Beaucoup disent par exemple que le pétrole commence à manquer, or ils ont des milliers de litres dans leurs magasins. Aujourd’hui le litre de pétrole est à 500 fc (1 euro) contre 250 fc auparavant. La même chose se produit avec la farine. Cela fait quelques jours qu’on ne mange plus du pain car les boulangers sont en grève. C’est une stratégie honteuse pour faire monter les enchères. Pour faire des marges et des bénéfices ils sont prêts à tout, même à affamer la population. C’est inadmissible".

Moursoidi Soulaïmana, 32 ans, policier
"Je m’inquiète de manière sérieuse des mesures qui seront prises par l’Union des Comores et l’UA. Depuis le mois de mai dernier, la vie s’est dégradée à Anjouan. On n’a jamais reçu quoi que ce soit de l’Union des Comores. Anjouan se gère avec les moyens du bord. Ils veulent en plus nous imposer un embargo, c’est une pratique génocidaire. Cette solution n’est vraiment pas la bonne. Sambi doit bien réfléchir car c’est son peuple qui souffrira, mais pas le colonel Bacar, ni Mohamed Abdou Madi et encore moins Djanfar Salim. En imposant un blocus total sur Anjouan c’est l’ensemble des Comores qu’il bloque. Tous les bateaux qui arrivent aux Comores transitent par Anjouan. Il se retrouvera très vite en mauvaise posture à la Grande-Comore car si les commerçants de Ngazidja ne parviennent pas à récupérer leurs marchandises ils risquent de se retourner contre lui. Que fera-t-il à ce moment-là ? Il ira se réfugier chez Madeira ? Je ne pense pas que ce dernier acceptera de le recevoir".

Nayle Aoulade dit Pipo, 27 ans, secrétaire général de la mairie de Mutsamudu
"L’embargo ne m’inquiète guère car je vis dedans depuis ma naissance. J’ai remarqué depuis mon jeune âge qu’il y a toujours quelque chose qui manque à Anjouan. S’il n’y a pas une pénurie de riz, c’est le sel qui manque. Nous sommes les damnés de l’archipel des Comores avec nos voisins Mohéliens. Mais comme ils n’ont pas l’habitude de se révolter, ils subissent.
Nous les jeunes nous en avons vraiment marre de cette situation. Nous ne le disons pas publiquement, mais nous n’en pensons pas moins. Nous tenons à notre liberté d’expression autant que nous pouvons tenir au progrès de notre île. Les deux vont de pair d’ailleurs. Mais comme on dit familièrement : "ventre affamée, tête vide". Je ne comprends pas pourquoi on n’arrive pas à sortir la tête hors de l’eau. Anjouan est un carrefour de commerce. L’île a des atouts dans la pêche, l’agriculture et le tourisme. Les jeunes ne sont pas impliqués dans ces activités. Les dirigeants ont l’air d’oublier que l’avenir de cette île nous appartient. Quand ça va mal, c’est nous qui subissons les conséquences".

Zayar Borlodja, 26 ans, sans emploi, titulaire d’un diplôme de maintenance de systèmes informatiques
"Moi personnellement je suis favorable à un débarquement militaire. J’en ai ras-le-bol de vivre dans cette situation. Ca fait des années que nous vivons dans la galère. Beaucoup de nos frères prennent la mer au péril de leur vie pour se rendre à Mayotte. Pourquoi on ne s’en sort pas. Nous sommes déjà pauvres, on crève de faim, on a rien pour s’en sortir et on va nous imposer un embargo. Il est temps que nos dirigeants aussi bien de l’Union des Comores que du gouvernement de l’île autonome prennent leurs responsabilités. Au lieu de se tirailler dans des querelles intestines qui seront lourdes de conséquence, ils devraient plutôt se réunir afin de trouver une solution pacifique, car c’est la population qui va en pâtir. Quand je regarde à la télévision comment vivent les jeunes Mahorais, je me demande pourquoi on n’a pas eu cette chance. Ils ont la facilité de voyager, de poursuivre leurs études en métropole avec des bourses de l’Etat. Chez nous si tu n’es pas le fils d’un tel, tans pis pour toi".

Ali Ben Saïd dit Le Blanc, originaire de Mjamawé, 25 ans
"Les armes ont parlé en 1997 et nous nous sommes retrouvés dans le séparatisme. A partir de cette date c’est la descente aux enfers. L’éducation a périclité, la santé s’est détériorée à vitesse grand V et les conflits de compétence ont refait surface. Les dirigeants politiques ne pensent qu’à s’enrichir. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Mohamed Abdallah Sambi et le colonel Bacar n’arrivent pas à s’entendre. Ils sont pourtant tous les deux Anjouanais. Leur priorité devrait être tout d’abord de servir pour l’intérêt de leur peuple. En ben non ! C’est l’inverse. Résultat des courses, avec leur guéguerre ils vont prendre en otage la population avec un embargo dont l’instigateur n’est autre que Madeira. Ce n’est pas de cette manière qu’on gouverne un pays. J’ai eu mon Bac l’année dernière, mon rêve était d’aller poursuivre mes études en métropole et faire carrière dans l’armée. Un rêve illusoire. Je me retrouve aujourd’hui au chômage sans aucune perspective".

Mohamed Nadhoir, président et entraîneur de l’équipe Groupe choc de Mutsamudu
"Notre équipe est pour la deuxième année consécutive championne de l’île d’Anjouan. Nous devons nous rendre à Mayotte le 4 décembre prochain pour participer au Tournoi de la Concorde. J’ai des joueurs hyper motivés, mais j’ai peur que cet élan soit contrarié avec la situation que vit aujourd’hui l’île d’Anjouan. Dans la liste noire établie par le gouvernement l’Union figurent plusieurs responsables de l’équipe qui ne pourront évidemment pas faire le déplacement. J’espère de tout mon cœur que nous parviendrons à trouver une solution afin de ne pas pénaliser la jeunesse qui n’a rien à voir avec la politique. Sambi et Bacar doivent mettre de côté leurs dissensions car en empêchant les jeunes Anjouanais de prendre part à ce tournoi, ils risquent de provoquer un choc qui sera lourd de conséquence. La plupart d’entre eux n’ont aucune occupation à part le sport et cette activité reste leur seul épanouissement".

Mayotte Hebdo de la semaine

Mayotte hebdo n°1085

Le journal des jeunes

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